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Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement : PTCI (ou TAFTA ou TTIP) Ou comment s’enchainer à l’Empire américain

L’autre soir, plein d’ardeur printanière, je suis allé assister à une conférence de Raoul Marc Jennar (RMJ) sur le PTCI. Un coup de chapeau à RMJ capable de décortiquer les méandres de ce texte pendant deux heures, tout en restant clair, lucide et en captivant son public !

Mais alors, au retour, plus d’ardeur printanière, mais le moral dans les chaussettes !

En effet, comme souvent, la réalité est encore pire que la fiction !

J’avais déjà une petite idée bien négative de l’initiative, à ranger au compte libéral de l’UE, façon Lisbone-TCE-remis-sur-un-plateau-malgré-le-Non, as usual, sans plus.

Déjà l’article d’Agoravox de J.Dulourd avait précisé quelques points bien inquiétants sur les atteintes aux droits sociaux, au droit du travail, aux services publics et à la souveraineté des états eux-mêmes face aux grands groupes multinationaux ; tout ces risques encourus pour un hypothétique gain de 0,27 à 0,48% de croissance de PIB à l’horizon 2027. On peut lire ici l’étude du « Centre for economic policy research » qui a fourni ces analyses.

En outre, des secteurs entiers pourront être bouleversés tels l’agriculture (OGM, hormones, poulets-Javel, fermes-usines…) et les activités de production de machines électriques et d’équipements de transport, ainsi que la métallurgie, l’industrie du bois et du papier, les services d’affaire, de la communication et les services personnels.

Qui plus est, avec une pression à la baisse sur les salaires ! Et des impacts potentiels très modestes sur l’emploi (peut-être 400 000 à l’horizon 2027, et encore…), voire négatifs : «At sector level, roughly 0.2 to 0.5 per cent of the EU labour force (in terms of allocation across sectors) is de-located.” (0,2 à 0,5% des emplois délocalisés ou transférés à d’autres secteurs)

On peut trouver ici le texte « secret » du mandat de négociation traduit et commenté par RMJ.

Mandat de négociation commenté par RMJ. Top secret...

Ce texte fournit le cœur de l’argumentation de RMJ. C’est un document secret, rédigé en anglais et qui a été élaboré en concertation avec les représentants des grands groupes multinationaux des USA et d’Europe, le dialogue économique transatlantique (TABD). Il a été adopté en juin 2013 par le Conseil européen des Affaires Etrangères.

La négociation est confiée à Ignacio Garcia Bercero (illustre inconnu !) avec la participation de Karel de Gucht, commissaire européen au commerce (bien connu pour être suspecté de délit d’initié dans l’affaire de la banque Fortis et de fraude fiscale à hauteur de 1,2M € dans la vente de la société Vista !).

La négociation se poursuit avec l’habituel secret précautionneux de l’UE à raison d’une semaine par mois.

Ce pacte de libre échange vise à supprimer les barrières douanières mais surtout à supprimer les barrières réglementaires ; c’est d’ailleurs cette libéralisation réglementaire qui devrait apporter 80% des bénéfices annoncés !

RMJ montre bien comment l’objectif de ce mandat est de soumettre encore plus les pays de l’UE aux préceptes de l’ultralibéralisme pur et dur :
  • concurrence libre et non faussée,
  • protection absolue de l’investisseur contre toute atteinte à sa liberté et à ses intérêts,
  • possibilité de recours des entreprises devant un tribunal arbitral, y compris contre les collectivités publiques de tout niveau,
  • renforcement du principe de subsidiarité (un des piliers des traités européens) :
    • réglementations minimalistes,
    • réduction du champ d’intervention de l’état et des collectivités locales aux strictes activités régaliennes hors du domaine marchand ouvert à la concurrence.

Toutes ces conditions s’ajouteraient naturellement à celles déjà introduites par les règles de l’OMC et contribueraient à limiter d’autant plus les capacités des états et des politiques à mener des politiques sociales, économiques, fiscales et environnementales volontaristes.

Les services publics seraient alors des cibles de choix pour tous les « investisseurs » que ce soit dans le domaine de la santé, des assurances (ex sociales), de l’éducation et de la culture ; le secteur associatif risquera fort dans ces conditions de manquer de subventions publiques mais il pourra toujours s’orienter vers le mécénat et les « Fondations » à l’américaine.

Qui impulsera alors la Transition écologique et énergétique nécessitant un volontarisme très fort des institutions publiques alors que les USA ne sont même pas signataires du Protocole de Kyoto ? Qu’adviendra-t-il des emplois éventuels nécessaires pour la rénovation des bâtiments, seront-ils français, polonais, ukrainiens voire américains ou mexicains ?

Les états ne pourraient même pas garder la souveraineté de leurs ressources car les signataires s’engagent « à garantir un accès libre et durable aux matières premières » ; cette clause n’impliquera d’ailleurs pas les USA car le sous-sol y appartient aux propriétaires privés et on a bien compris que la seule valeur universelle et incontournable reste la Propriété Privée.

RMJ souligne en outre les déséquilibres de fait qui apparaitront entre les USA et l’UE dans l’application de ces règles.
  • Un premier point tient au fait que l’accord sera applicable par tous les états de l’UE alors que la signature de Washington n’engagera pas systématiquement tous les 50 états fédérés. Il sera difficile en particulier de contourner deux préceptes très prégnants aux USA : la loi « Buy American » et la règle des 25% de parts de marché réservées aux PME ;
  • le deuxième point tient à un facteur d’échelle : les multinationales américaines sont en général beaucoup plus puissantes que leurs concurrentes européennes ;
  • le troisième point tient à la suprématie de l’économie américaine dans un certain nombre de secteurs : le cinéma et l’audiovisuel, la finance, l’économie de l’internet et des réseaux, la formation universitaire privée…
  • Sans oublier la position privilégiée de l’américain, lingua franca de toutes les sciences et de la communication internationale.
  • Les USA sont actuellement de loin les plus gros exportateurs de services au monde avec plus de 1/8 eme des exportations mondiales, ils sont aussi les premiers importateurs de services.
Deux articles introduisent des structures et mécanismes de contrôle supranationaux

et l’on voit se confirmer ainsi un mode de gouvernance par des entités supranationales, en dehors des systèmes politiques et judiciaires étatiques et démocratiques : ce sont les articles 43 et 45 cités ci-dessous.

43. Cadre institutionnel

L'Accord mettra en place une structure institutionnelle en vue de garantir un suivi
efficace des engagements découlant de l'Accord, ainsi que de promouvoir la réalisation
progressive de la compatibilité des rég
imes réglementaires.

45. Règlement des différends

L'Accord comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié, ce qui fera
en sorte que les Parties respectent les règles convenues. L'Accord devrait inclure des
dispositions pour le règlement le plus indiqué des problèmes, comme un mécani
sme de
médiation flexible.

RMJ voit dans ce système de gouvernance par des entités supranationales- qu’on connait déjà dans le cadre de l’UE avec la Commission ou dans le cadre de l’OMC, mais aussi avec le FMI ou la Banque Mondiale- une prise de pouvoir oligarchique par le monde économique et plus précisément par les grandes Multinationales.

Personnellement j’y vois davantage une évolution progressive vers l’établissement d’un Gouvernement Mondial par un Système-Empire complexe contrôlé in fine par les USA. Je préciserai plus loin mon analyse.

Précédent de l'ALENA:

RMJ observe que les craintes que l’on peut formuler à propos du PTCI sont largement confirmées par l’expérience de l’ALENA, accord de libre échange entre le Mexique, les USA et le Canada, pour lequel on dispose de 20 années de recul : on a pu ainsi constater l’impact désastreux sur l’agriculture mexicaine, la pression à la baisse sur les salaires, la montée des inégalités, le creusement des crises sociales et environnementales (gaz de schiste, sables bitumineux…) et la dépendance accrue du Canada et du Mexique par rapport aux USA. L’impact sur l’emploi est discuté, certains évoquent même la disparition d’un million d’emplois.

Les multinationales américaines on fait appel 30 fois aux procédures d’arbitrage et ont gagné 30 fois, par contre toutes les poursuites contre des intérêts américains ont échoué !

Un autre point important de déséquilibre doit être rajouté pour le PTCI:

c’est l’absence de politique monétaire commune. A quoi bon parler de concurrence libre et non faussée alors que le cours du dollar peut fluctuer librement du simple au double et que la BCE pratique une politique de l’euro fort !

Madame Clinton, peut-être la future présidente des USA, soutenue d’ailleurs par le deuxième oligarque d’Ukraine, V.Pinchuk (Que le Monde est petit !), a déclaré à propos du PTCI que c’était « un OTAN économique ». J’y vois une confirmation que ce projet est une étape majeure pour l’établissement de ce Système-Empire contrôlé par les USA.

C’est Zbigniew Brzezinski (ZB), éminent conseiller aux Affaires Etrangères de plusieurs présidents américains, Carter, Bush père, Obama, qui l’explique dans son livre « Le grand Echiquier » écrit en 1997. On peut lire ici des extraits significatifs de ce livre.

ZB explique en quoi consiste « Le système global de l’Amérique » : « La puissance globale américaine repose sur un système planétaire de conception originale, qui reflète l'expérience nationale des États-Unis. Le pluralisme de la société et du système politique est la clé de cette expérience. » .

« La domination culturelle des États-Unis a jusqu'à présent été un aspect sous-estimé de sa puissance globale » « À l'attrait que présentent le système politique américain et son influence, vient s'ajouter la séduction exercée par le modèle de la libre entreprise et ses corollaires : le libre échange et la concurrence… A mesure que ce modèle gagne du terrain dans le monde il crée un contexte propice à l'exercice indirect et apparemment consensuel de l'hégémonie américaine. »

« Enfin, on ne doit pas oublier que le système américain se déploie encore à un autre niveau, constitué par un réseau mondial d'organismes spécialisés, en particulier les institutions financières « internationales ». Le FMI et la Banque mondiale servent par définition des intérêts « globaux » et leur sphère d'intervention s'étend à la planète. En réalité, l'Amérique y joue un rôle prépondérant, et elle a été à l'origine de leur création »

« Ainsi, la suprématie américaine a engendré un nouvel ordre international qui reproduit et institutionnalise, a travers le monde, de nombreux aspects du système politique américain.
Ses principales caractéristiques sont les s
uivantes :

-un système de sécurité collective doté de forces et d'un commandement intégrés (OTAN, Traité de sécurité américano-japonais, etc.) :

-des organismes de coopération économique régionale (Alena. APEC, etc.) et des institutions de coopération mondiale (Banque mondiale, FMI, OMC) ;-une recherche du consensus dans les décisions, même si les procédures sont dominées, de fait, par les États-Unis ; »

« Surtout, l'Europe est la tête de pont géostratégique fondamentale de l'Amérique… Pour le dire sans détour, l'Europe de l'Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu'étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires. »

« En conséquence, l'objectif géostratégique central de l'Amérique en Europe peut se résumer très simplement : elle vise à consolider, grâce a un partenariat transatlantique plus équilibré, sa tête de pont sur le continent eurasien

Pour l'Amérique, l'enjeu géopolitique principal est l'Eurasie. » « L'Eurasie demeure, en conséquence, l'échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale. »

ZB définit donc très précisément la vision géopolitique de la puissance globale américaine comme une construction de long terme alors que l’Europe et les états européens n’ont pas de vision géopolitique autonome et se limitent à un élargissement quasi automatique de l’UE vers l’est sans réel projet politique ou social et sans dialogue privilégié avec leur voisin immédiat, la Russie.

Cet élargissement fait le jeu des USA car il rend très problèmatique l’apparition d’un vrai projet politique européen commun comme l’énonce ZB : « En aucun cas, l'Amérique ne devrait donner l‘impression que sa préférence va à une association relativement lâche formée par le plus grand nombre possible d'Etats européens. »

ZB déclare ensuite les enjeux du futur élargissement et on comprend mieux les dessous de la crise actuelle en Ukraine.

« L'Ukraine constitue cependant l'enjeu essentiel. Le processus d'expansion de l'Union européenne et de l'OTAN est en cours. Bien que l'échéance soit encore lointaine, l'Ouest pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d'impulser ce processus ».

Le très européen think tank LEAP, Laboratoire Européen d’Anticipation Politique, fondé par le regretté Frank Biancheri, l’un des créateurs d’ERASMUS, défend dans l’une de ses dernières publications l’idée que la crise ukrainienne s’inscrit dans une entreprise de déstabilisation de l’UE par les USA et ses affidés.

« L’attaque actuelle se situe en effet dans la lignée de celle menée en 2010 contre l’euro, sachant qu’en cassant la monnaie commune, et compte tenu de l’impossibilité technique à retourner aux monnaies nationales, l’Europe se serait de facto retrouvée intégrée à la zone dollar. » LEAP précise un peu plus loin : « La crise ukrainienne n’a probablement pas été déclenchée pour autre chose que pour, in fine, nous obliger à acheter le gaz de schiste américain , à signer le PTCI (hors duquel le précédent ne peut être vendu en Europe ) et à justifier une ré augmentation des budgets militaires américano-otanesques grâce à la réactivation d’une guerre froide entre Occident et Emergents »

Depuis la Révolution de Maïdan les affaires ont repris leur cours pour les gisements de gaz de schiste de Yuzovska et d’Olesska devant être exploités par Shell et Chevron et un contrat d'exploitation va être signé avec ExxonMobil pour le champ pétrolier et gazier Skifska, en mer Noire, projet de 10-12 milliards de dollars.

LEAP est un think tank spécialisé en prospective et géopolitique ; il avait largement anticipé la crise de 2007 et ses rebondissements dont la crise de l’euro attaqué par la Finance (USA) ; il défend l’idée d’une construction européenne autonome développant un partenariat harmonieux à la fois avec les USA et la Russie. Pour LEAP, Mme Ashton, M. O’Sullivan, en charge du Service d’Action Extérieure de la Commission européenne, ainsi que M. Fule de la DG Élargissement, ont littéralement tendu un piège à l’Ukraine… -et à l’Europe- en la poussant à « choisir son camp ».

Si l'Europe ne parvient pas à rétablir le dialogue avec la Russie et si elle se précipite pour signer au plus vite le PTCI, alors le piège se sera refermé et le rideau de fer se réinstallera sur une Europe en grand danger.
Tag(s) : #géo-politique
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